Panser la mort – Bernard Sportès

Bernard Sportès est médecin, généraliste, coordonnateur d’Ehpad, formé en soins palliatifs. Grâce à sa longue expérience d’accompagnement des mourants, il dresse un tableau exhaustif et sensible des enjeux qui entourent le douloureux débat de la mort assistée.

Tout d’abord neutre, il expose les tenants et les aboutissants de la loi Claeys-Léonetti qui encadre actuellement la fin de vie en France et qui permet déjà une « sédation jusqu’au décès ». Il aborde aussi brièvement la manière dont nos voisins suisse et belge, mais également les canadiens et américains, ont légiféré sur cette question.
La loi française ne convainc pas toute la population, et plusieurs associations se sont formées pour défendre ou s’opposer à une possible mort administrée qui irait plus loin dans la prise en charge de la fin de vie. L’exposé de B. Sportès se montre dans un premier temps très neutre et respectueux des argumentaires des uns et des autres.

L’ouvrage prend une tournure davantage militante lorsqu’il s’agit de présenter les mœurs et pratiques actuelles. L’euthanasie n’est pas entrer dans les mœurs françaises. En pratique, on ne l’administre pas. Personne ne souhaite véritablement s’en charger et si les malades ont parfois peur de ce qui les attend, très rares sont ceux prêt à agir pour anticiper leur mort.
Bernard Sportès n’hésite pas à décortiquer notre peur de la mort et de la douleur mais aussi notre angoisse de vieillir, la perception du vieillissement dans notre société. Il accompagne son propos de nombreux témoignages de patients qu’il a accompagné jusqu’à la fin, parfois dans la douleur. Il questionne notre rapport à cette dignité qui serait bafouée par le grand âge.

Dans une critique virulente de l’organisation actuelle de la médecine, une médecine industrielle phagocytée par les différents lobbies, en manque permanente de personnel, centré sur l’organe plus que sur la personne,  il s’efforce de proposer une autre vision de notre système de santé. Un idéal vers lequel on peut espérer tendre. Il  nous parle d’un accompagnement où le médecin généraliste deviendrait un médecin de la personne et serait, avec le patient, au cœur du processus médical et en mesure d’interagir avec les différents spécialistes impliqués dans la santé de son patient. Si bien que l’heure venue, le patient ne serait plus balloté d’un service de spécialité à l’autre en fonction de la place disponible, mais serait accompagné jusqu’au bout dans un lieu adapté par des personnels soignants formés en mesure d’entendre et de respecter ses choix, et d’agir s’il le fallait, dans un ultime soin, pour soulager des souffrances devenues véritablement insupportables. Bernard Sportès n’hésite pas à nous parler de la psychologie du mourant, des différentes phases de peur, d’acceptation et d’adaptation dans un corps douloureux mais pas pour autant ennemi ni indigne. Il n’hésite pas aussi à nous parler de ce moment de décrochage où le patient est prêt à partir, où il ne faut plus lutter pour le retenir mais où il est encore possible de prendre soin de lui pour un départ le plus naturel et le plus doux possible.

Panser la mort est un livre nécessaire pour un éclairage avisé sur nos zones d’ombre. Jusqu’à la dernière ligne, Bernard Sportès nous rappelle que « la mort est un fait social total ». Prendre soin de nos morts, notre mort aussi, par conséquent, c’est prendre soin de toute la société et c’est aussi repenser notre interprétation de la République et de sa devise. Panser et penser la mort, c’est ne plus opposer liberté et fraternité mais au contraire construire une fraternité qui préserve concrètement la liberté de tous et de chacun.

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Le cerf-volant – Laetitia Colombani 

Laetitia Colombani est connue notamment pour avoir publié La tresse, un récit mêlant la vie de trois femmes en Inde, en Sicile et au Canada et mettant en exergue la chaîne de la mondialisation. Ce premier roman est un best-seller et fait l’objet d’un film du même nom, actuellement en salle.  

Le cerf-volant est le troisième roman de Laetitia Colombani, après Les victorieuses. On y retrouve son style fluide et accessible, très grand public et aux accents feel-good. Léna, une enseignante brisée par un drame familial, s’expatrie en Inde quelques mois. Bouleversée par le sort des enfants, et particulièrement des jeunes filles intouchables, elle entreprend d’ouvrir une école à Mahabalipuram, au Tamil Nadu, un Etat du sud de l’Inde. Sous couvert de bons sentiments, Laetitia Colombani dresse un tableau très informé de la vie en Inde et de la condition des plus démunis. Son roman se laisse volontiers dévorer et le sort de Léna, Preeti et Holy ne nous laisse pas indifférents.  
Le cerf-volant s’inscrit ainsi dans la lignée de La tresse en approfondissant d’une certaine façon le sort de Smirta, le personnage indien de La tresse.  

Pour développer cette thématique, je recommande aussi chaleureusement le livre de Rohinton Mistry, L’équilibre du monde, qui met précisément en lumière cette Inde que nous préférions sans doute ne pas connaître.  

Voir aussi :  

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La personne et le sacré – Simone Weil 

Dans ce tout petit livre publié chez Allia, Simone Weil s’attache à redéfinir la personne. Notion qu’elle distingue d’emblée de la personne telle quelle est abordée dans les courants personnalistes.  

Elle écrit : « Il y a dans chaque homme quelque chose de sacré. Mais ce n’est pas la personne.  » On peut entendre ici la personne comme synonyme de l’ego. Ce qui est sacré, c’est le Soi ou l’être humain dans sa totalité, au-delà de l’ego, dans ce qu’il a d’universel et d’impersonnel. 

La quatrième de couverture comporte cette simple citation de la philosophe : « Il faut encourager les idiots, les gens sans talent, les gens de talent médiocre ou à peine mieux que moyen, qui ont du génie ». Il faut entendre ceux qui ont le génie de mettre leur égo de côté et qui sont purs de toute forme d’orgueil ou d’égocentrisme.  

« La perfection est impersonnelle. La personne en nous, c’est la part en nous de l’erreur et du péché. Tout l’effort des mystiques a toujours visé à obtenir qu’il n’y ait plus dans leur âme aucune partie qui dise « je ». Mais la partie de l’âme qui dit « nous » est encore infiniment plus dangereuse ». 

S’ensuit une diatribe sur les dangers des partis politiques, voire de la démocratie. Elle part du principe qu’une foule ne pense pas. Un individu dans la foule suit souvent le mouvement et perd la direction de son âme et conscience. C’est là toute l’exigence et la subversivité de Simone Weil. Philosophe politique et mystique ; mais les mystiques peuvent-ils faire de la politique ?  

Eminemment guidée par le Bien, les écrits et la pensée de Simone Weil témoignent d’un impressionnant décrassage de la psyché pour n’en garder que le cœur pur et impersonnel. Il est bon d’en prendre son parti et de s’en inspirer, individuellement, d’y cheminer à son niveau. Il est nettement plus dangereux de s’en inspirer politiquement. Le risque d’incompréhension et de déviance de son propos est beaucoup trop élevé. 

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Le chat du rabbin – Joann Sfar 

On ne présente plus Le chat du rabbin. Cette bande dessinée débutée en 2002 comporte aujourd’hui 12 volumes dont le dernier date de 2023. J’aborde dans ce billet les 4 premiers tomes de la série : 1. La bar-mitsva, 2. Le Malka des lions, 3. L’exode, 4. Le paradis terrestre. On y suit les aventures d’Imhotep, le chat d’un rabbin d’Alger, fou amoureux de sa maîtresse, la sublimissime Zlabya, la fille du rabbin. Imhotep avale un jour un perroquet… et se retrouve avec le don de parler ! 

Il a surtout le don de mettre les pattes dans la gamelle et de balancer quelques vérités vraies et parfois difficiles à entendre. C’est qu’Imhotep pourrait bien être un chat spirituel… ou plus simplement, pragmatique. Il veut épouser Zlabya, et pour se faire, doit devenir juif. Il entreprend donc de faire sa bar-mitsva. Mais on n’intègre pas si facilement la communauté juive. On suit donc les rencontres de ce matou gris et maigrichon avec les personnalités religieuses de sa ville, de son pays et même au-delà… 

Joann Sfar se sert de son personnage pour soulever avec humour les travers religieux des uns et des autres, les incohérences de chacun et surtout les questions existentielles qui nous titillent tous d’une manière ou d’une autre. Entre musulman, juif, politique, sorcier, tout le monde en prend pour son grade et ça fait du bien ! 

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Pour aller plus loin :  
Le chat du rabbin a fait l’objet d’un film en 2011 : https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=129365.html 

Et d’une fiction radiophonique en 2020, malheureusement indisponible à ce jour, sur France Culture : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-le-chat-du-rabbin-de-joann-sfar  

L’enracinement – Simone Weil 

Simone Weil est inclassable, anarchiste, chrétienne, intellectuelle, syndicaliste… Sa philosophie est passée à l’épreuve du travail physique et de la condition ouvrière. La lecture de L’enracinement est déroutante : aucun lieu commun, aucun « prêt-à-penser », une exigence et une intransigeance assumée de l’autrice. Il faut s’accrocher, rester concentrée, reprendre le livre à plusieurs reprises pour suivre ce raisonnement qui s’ancre dans la vérité, et l’authenticité à soi et aux autres.  

L’enracinement, en quelque sorte, s’attache à définir les mécanismes du sentiment d’appartenance et les manières de l’insuffler. Simone Weil commence son ouvrage par identifier les besoins de l’âme qui complètent nécessairement les besoins du corps. Ces besoins, déjà, sont déroutants, parfois paradoxaux, mais tous argumentés : l’ordre, la liberté, l’obéissance, la responsabilité, l’égalité, la hiérarchie (dont le sommet, la finalité, doit être représenté par un symbole et non pas une personne), l’honneur, le châtiment (comme seul moyen d’être réintégré dans la société après un crime), la liberté d’opinion, la sécurité, le risque, la propriété privée, la propriété collective, la vérité et l’enracinement.  

Elle définit ainsi le besoin d’enracinement page 55 :  

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Le désert intérieur – Marie-Madeleine Davy 

Marie-Madeleine Davy, spécialiste de la mystique médiévale, part de l’affirmation que la vocation des hommes nouveaux se trouve dans le désert intérieur, autrement dit le « sanctuaire » de l’intériorité. Elle s’appuie, pour soutenir son propos, sur les écrits des Pères du Désert de Gaza. Elle s’attache ainsi à retracer la symbolique du désert dans l’histoire, et à situer l’homme par rapport à ce désert qui n’est pas seulement géographique. La solitude extérieur de l’ermite du désert est comparable à celle de l’ermite intérieur. L’homme moderne isolé dans des villes fourmillantes et un monde du travail déstructurant a, malgré tout, toujours accès au vaste espace du désert intérieur. Il redéfinit le sacré, trop souvent confondu avec le religieux, et apprend à le discerner dans une modernité désacralisée. Le désert intérieur, ainsi, peut s’opposer aux rituels et lieux de l’Eglise. L’idée est que la véritable demeure du sacré est au-dedans et qu’elle demande à être construite. « Seule l’intériorité rend libre » souligne M.-M. Davy page 40.

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Souvenirs de Kenji Mizoguchi – Yoshikata Yoda 

Kenji Mizoguchi, le réalisateur japonais par excellence. Yoshikata Yoda, son scénariste. A eux deux, ils ont réalisé Les contes de la lune vague après la pluie, L’intendant SanchoLes amants crucifiés… et bien d’autres monuments du cinéma mondial. Y. Yoda retrace dans ce court livre ses souvenirs de sa vie et de son travail en commun avec le grand réalisateur. Il aborde brièvement la jeunesse et le passé de K. Mizoguchi puis s’attache essentiellement à relater l’exigence, les manières, les paroles souvent acerbes de son mentor. Il fallait être à la hauteur du maître, comprendre et anticiper ses désidératas sans trop de susceptibilité, en sachant mettre de côté son ego. A travers les méthodes de travail du maître et de l’élève qui sont aussi deux amis complices dans leurs ambitions cinématographiques, on décèle l’oubli de soi très japonais dont fait preuve Yoshikata Yoda ainsi que son immense capacité à interpréter, scénariser et concrétiser les idées et les émotions de Kenji Mizoguchi. Souvenirs de Kenji Mizoguchi est une plongée dans le petit monde du cinéma japonais de l’époque. On y survole le passage du noir et blanc à la couleur, les jeux de passe-passe pour échapper à la censure en tant de guerre, pour transmettre des valeurs et des idéaux sublimes et sublimés où l’amour surpasse les classes, les obligations sociales et le patriotisme. Rare témoignage direct de la création à l’œuvre, ce livre complété d’une filmographie détaillée du réalisateur conviendra à tous les amoureux du cinéma japonais de la première moitié du XXème siècle.  

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Souvenirs de Kenji Mizoguchi – Yoshikata Yoda
Traduit du japonais par Koichi Yamada, Bernard Béraud et André Moulin
Filmographie établie par Tony Rayns
Préface de Jean Douchet
Première publication en français : 1965-1968 dans les Cahiers du cinéma
Petite Bibliothèques des Cahiers du Cinéma, 1997

L’équilibre du monde – Rohinton Mistry 

Rohinton Mistry est un auteur canadien né à Bombay en 1952. L’équilibre du monde est son deuxième roman. Il y rapporte le quotidien d’indiens désargentés dans une mégalopole indienne des années 70 : deux hommes issus d’une famille de tanneurs, l’oncle et le neveu, Ishvar et Omprakash, réussissent grâce à la persévérance du frère d’Ishvar et du père d’Omprakash, à gravir les échelons du système de castes pour devenir tailleurs. On suit ainsi leur parcours de l’atelier protégé d’un ami de la famille aux bidonvilles des grandes villes. Chacune de leur rencontre est l’occasion pour l’auteur de dépeindre le quotidien difficile de ceux qui se battent contre le sort qui leur est imposé à la naissance. Dina, leur patronne, a refusé les prétendants fortunés suggérés par son frère aîné pour épouser un homme qu’elle aime moins favorisé. Son logement est géré par une mafia locale qui n’a aucun scrupule à pressurer les plus pauvres. On croise aussi le roi des mendiants, à la fois exploiteur et sauveur de ceux qui n’ont plus rien, pas même des membres en état de bon fonctionnement. Shankar, le cul-de-jatte, n’est plus seulement un handicapé pitoyable dans les yeux de Rohinton Mistry. Il devient une source d’inspiration distribuant son sourire à qui veut bien le recevoir. Rien n’est simple, rien n’est figé. L’étudiant Maneck, a priori plus chanceux, n’a pas non plus la vie facile. L’auteur dresse un tableau vivant, animé, humain d’une Inde très éloignée des clichés bollywoodiens. Il ne s’agit pas seulement de dénoncer les injustices sociales, il s’agit d’en montrer l’équilibre instable et précaire, l’imbriquement inextricable des situations et des relations. L’entraide, l’écoute, l’empathie ressortent victorieux de ce grand marasme. Lorsqu’elles font défauts des vies s’effondrent.  

Rohinton Mistry a été primé pour chacune de ses publications. Incontestablement, il est un auteur à lire pour comprendre la société indienne la moins visible. Ses portraits sont toujours d’actualité et l’Inde des années 70 portent déjà en germe celle d’aujourd’hui.

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Je pense que je ne verrai jamais…

Je pense que je ne verrai jamais
Un poème charmant comme un arbre.
Un arbre dont la bouche affamée est plus
Contre la douce couche de la terre ;
Un arbre qui regarde Dieu toute la journée,
Et lève ses bras feuillés pour prier ;
Un arbre qui peut en été porter
Un nid de merles dans les cheveux ;
Sur le sein duquel la neige a couché ;
Qui vit intimement avec la pluie.
Les poèmes sont faits par des imbéciles comme moi,
Mais Dieu seul peut faire un arbre.

Les arbres, Joyce Kilmer
Merci Nathalie.
J’ai récemment participé à une chaîne poétique qui me permet de recevoir des poèmes envoyés (la plupart du temps) par des inconnus. J’ai choisi de vous les partager ici.

A thing of beauty is a Joy for ever

A thing of beauty is a Joy for ever
Its loveliness increases
It Will never pass into nothingness
But still will keep
A bower quiet for us, and a sleep
Full of sweet dreams and health and quiet breathing
Jonh Keats
Merci Christiane.
J’ai récemment participé à une chaîne poétique qui me permet de recevoir des poèmes envoyés (la plupart du temps) par des inconnus. J’ai choisi de vous les partager ici.